S'il a remporté le Masters 1000 de Cincinnati (Ohio) lundi, Jannik Sinner fait parler de lui pour une toute autre raison depuis la publication d'un communiqué de l'Agence internationale de l'intégrité du tennis (ITIA). L'instance y indique qu'un tribunal indépendant a conclu que l'Italien n'a commis "aucune faute ou négligence" après avoir été testé positif à deux reprises et à une semaine d'intervalle au clostébol au mois de mars.
Un petit séisme pour la planète tennis puisque cette affaire n'avait pas été rendue publique le temps de l'enquête et que le numéro un mondial, vainqueur de cinq titres cette saison, a pu continuer à jouer. Alors qu'il a plaidé avec succès la contamination, plusieurs de ses pairs ont pointé du doigt une différence de traitement.
L'Italien a été contrôlé positif à deux reprises, le 10 mars et le 18 mars lors du Masters 1000 d'Indian Wells (Californie): du clostébol a été repéré en faible quantité dans ses urines. Il en a été informé début avril. L'expertise scientifique de son cas indique cependant que la dose qu'il a ingérée est trop petite pour avoir une influence sur ses performances.
Le clostébol est un agent anabolisant synthétique dérivé de la testostérone, classé S1 sur la liste des interdictions de l'AMA et qui peut donner lieu à quatre ans de suspension. Cette substance non spécifiée est souvent retrouvée dans les cas de dopage concernant les athlètes italiens: Honest Sport, un journal spécialisé dans la thématique, relève qu'entre 2019 et 2023, trente-huit athlètes italiens ont été testés positifs au clostébol.
En Italie, il est possible d'acheter en pharmacie et sans ordonnance une crème nommée Trofodermin. Celle-ci contient du clostébol et permet de soigner sur la peau les écorchures, les lésions, les brûlures et les plaies infectées. Selon l'Agence mondiale antidopage (AMA), la moitié des cas de clostebol dans le monde proviennent d'Italie.
L'ITIA rapporte que Jannik Sinner "a expliqué que la substance avait pénétré dans son organisme à la suite d'une contamination par un membre de son staff", en l'occurence son physiothérapeute, Giacomo Naldi. Ce dernier "a appliqué sur sa propre main un spray en vente libre contenant du clostébol pour soigner une petite blessure, du 5 au 13 mars, période pendant laquelle il a aussi prodigué des massages au joueur", toujours selon le communiqué de l'agence. Pendant le tournoi d'Indian Wells, Giacomo Naldi avait bien un bandage au doigt, ce sur quoi s'est appuyé l'entourage du joueur pour appuyer la thèse de l'accident.
Darren Cahill, entraîneur de l'Italien, a étayé cette version sur ESPN. Selon lui, le préparateur physique du numéro un mondial, Umberto Ferrara, aurait donné un spray à Giacomo Naldi pour l'aider à guérir de la coupure au doigt qu'il se serait faite en mettant sa main dans une trousse médicale. Auparavant, le numéro un mondial aurait bien demandé à son physiothérapeute s'il utilisait un produit pour soigner sa coupure, ce à quoi il aurait répondu non, "ce qui était vrai à ce moment-là", a insisté Cahill.
"Tout le monde doit savoir que Jannik n'a aucun rôle dedans. Il n'a rien inhalé, il n'a pas pris de comprimés, il n'a pas eu l'intention de tricher", a soutenu le coach australien, confirmant que le physiothérapeute a provoqué la contamination à la substance interdite en continuant à s'occuper du corps du joueur, tout en soignant ce doigt.
Jannik Sinner a été provisoirement suspendu du 4 au 5 avril, entre la fin du tournoi de Miami et le début de celui de Monte-Carlo, puis du 17 au 20 avril, entre la fin du tournoi de Monte-Carlo et le début de celui de Madrid. A chaque fois, l'Italien a fait appel avec succès de la suspension qui a donc été levée: c'est pourquoi il a pu continuer à jouer. "Après consultation d’experts scientifiques, qui ont conclu que l’explication du joueur était crédible, l’ITIA ne s’est pas opposée aux recours du joueur visant à lever les suspensions provisoires", explique l'agence dans son communiqué.
Une investigation plus approfondie a été menée, dans le plus grand secret, à la fois par l'ITIA et par un tribunal indépendant devant lequel l'agence a renvoyé l'affaire. que l'agence. A l'issue de celle-ci, tous deux ont conclu que l'Italien "n'a commis aucune faute ou négligence" et accepté son explication en estimant que la présence de la substance n'était pas intentionnelle. Une décision derrière laquelle l'ATP, organisatrice du circuit international de tennis masculin, s'est aussi rangée, pointant par ailleurs "la robustesse du processus d'enquête".
Le numéro un mondial a cependant été privé des 400 points ATP et des 325.000 dollars empochés à Indian Wells, où il avait atteint les demi-finales (défaite en trois sets contre Carlos Alcaraz), conformément aux règles antidopage. L'agence mondiale antidopage (AMA) a par ailleurs indiqué qu'elle se réservait le droit de faire appel de son cas devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), si elle le juge nécessaire.
Dans un communiqué publié sur son compte X, Jannik Sinner a affirmé "mettre cette éprouvante et malheureuse période derrière (lui)". Avant d'ajouter: "Je vais continuer à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour m'assurer que je respecte les règles de l'ITIA."
Plus que le blanchiment de Jannik Sinner, c'est surtout la manière dont son cas a été géré et tenu secret qui fâche. "Je n'ose pas pas imaginer ce que tous les autres joueurs exclus après avoir été contaminés par des substances ressentent aujourd'hui", a réagi Denis Shapovalov avant de déplorer "des règles différentes pour des joueurs différents", en référence au classement de Jannik Sinner.
Ce à quoi Lucas Pouille, qui est également monté au créneau auprès de RMC, lui a répondu: "Qu'en est-il des joueurs exclus après seulement trois 'no shows' (contrôles antidopage manqués) alors qu'ils n'ont jamais été testés positifs...", faisant allusion par exemple à Mikael Ymer, qui avait annoncé sa retraite (avant de revenir dessus) à seulement 24 ans après avoir écopé de 18 mois de suspension.
"Pourquoi pour Jannik personne ne l'a su avant seulement hier ? Pourquoi, parce qu'il y a des différences. Cela fait mal à mon sport de voir que parce que tu es dans les top joueurs du monde, il y a une différence de traitement et tout a été fait en sous marin", a pour sa part commenté Laurent Lokoli dans une série de tweets.
A titre de comparaison, Simona Halep, qui avait prouvé scientifiquement qu'elle avait été contaminée au roxadustat à l'US Open 2022, avait été suspendu provisoirement 18 mois - le temps de la procédure - sans réussir à obtenir la levée de cette suspension. "J'imagine que seule l'image des joueurs majeurs compte. J'imagine que le jugement du tribunal indépendant est considéré comme solide et juste uniquement lorsque cela concerne les meilleurs joueurs. Pourtant, ils le remettent en question dans mon cas. Cela n'a pas de sens", a quant à elle dénoncé Tara Moore, contrôlée positive en 2022 et suspendue 18 mois avant d'être blanchie par un tribunal indépendant... et de voir l'ITIA faire appel de cette décision en début d'année.
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